Qu’est-ce qu’un neuromythe ?

C’est une croyance erronée sur le fonctionnement du cerveau.

Si je vous dis que nous n’utilisons que 10% de notre cerveau, ça vous parle ? Ça vous fait peut-être sourire aussi. Il s’agit là de l’un des neuromythes les plus répandus. Peu nombreux sont ceux des secteurs de l’apprentissage qui croient encore à cette idée mais elle a la vie dure dans la culture populaire. Nous pouvons peut-être en partie blâmer la littérature et le cinéma de science-fiction, comme le film Lucy de Luc Besson.

Image extraite du film Lucy

Si ce mythe est facilement balayé, d’autres sont tenaces au sein même des acteurs de l’apprentissage et de la pédagogie. Depuis une quinzaine d’années, les études se multiplient sur le sujet et mettent en évidence que plusieurs de ces neuromythes sont répandus en éducation, particulièrement dans la population enseignante. Citons :

- Dekker, Lee, Howard-Jones & Jolies, Neuromyths in education: Prevalence and predictors of misconceptions among teachers, 2012

- Howard-Jones, Neuroscience and education: Myths and messages, 2014

- Tardif, Doudin & Meylan, Neuromyths Among Teachers and Student Teachers, 2015

- Bourassa, Menot-Martin, Philion, Neurosciences et éducation, pour apprendre et accompagner, 2017

La présence de ces croyances en pédagogie pose problème. Non seulement elles induisent chez le précepteur une mécompréhension du processus d'apprentissage, mais elles peuvent aussi influencer ses pratiques pour faire apprendre. Heureusement, nous pouvons compter sur les sciences cognitives pour introduire une certaine rigueur dans les représentations que l’on a de notre cerveau et de son fonctionnement lorsqu’il apprend.

Le neuromythe n’est pas toujours entièrement faux, c’est son décalage important avec ce que propose la communauté scientifique, de manière quasi consensuelle qui en fait une croyance erronée. Il en existe des dizaines, tous obstacles à la remise en question des pratiques pédagogiques. Parfois évidents, d’autres sont plus subtils et tenaces.

Les styles d’apprentissage

Le mythe : chacun de nous aurait un style d’apprentissage privilégié qui nous permettrait à la fois de mieux comprendre, mais aussi de mieux mémoriser les connaissances : visuel, auditif ou kinesthésique.

La réalité est toute autre. Aucune étude n’a réussi à prouver la supériorité d’un enseignement qui adapterait sa pédagogie aux profils des individus. Bien que nous puissions avoir des préférences liées à un mode d’apprentissage particulier, le fait d’enseigner en fonction de ces préférences ne favorise pas un meilleur apprentissage.

Ainsi, certaines études rapportent que des groupes ayant suivi des méthodes adaptées à leurs préférences d’apprentissage n’apprennent pas mieux que des groupes ayant suivi des méthodes non adaptées à leurs préférences. (voir Massa, Meyer, Testing the ATI hypothesis, 2006)

Il n’y a presque aucuns travaux mettant en avant le moindre effet positif de la mise en pratique de cette théorie. Ces études tentent en réalité à démontrer qu’aux approches clivantes recommandées par la théorie des styles d’apprentissage, il faut préférer des méthodes d’enseignements faisant appel aux dimensions visuelles, auditives et tactiles, simultanément ou pas. On favorise donc la présentation multimodale, ou intégration mutisensorielle, pour améliorer la capacité de percevoir et de traiter les informations. (voir Wallace, Meredith, Stein, Multisensory integration in the superior colliculus of the alert cat. Journal of neurophysiology, 1998)

La dominance hémisphérique

Le mythe : il y aurait une différence entre ceux d’entre nous qui utiliseraient plus leur cerveau gauche et ceux qui utiliseraient plus leur cerveau droit. Non, nous n’avons deux cerveaux dans notre boîte crânienne, on parle ici des deux hémisphères. Un apprenant « cerveau gauche » serait plus logique et analytique et brillerait plus dans les tâches logico-mathématiques alors que l’apprenant « cerveau droit » serait plus créatif et intuitif et s’illustrerait davantage dans les tâches visuo-spatiales.

Encore très répandue, cette idée court depuis la fin du XIXe siècle, autant alimentée par des scientifiques que des écrivains. Jolie théorie, mais elle est fausse ! Nous avons bel et bien besoin de nos deux hémisphères cérébraux pour assurer toutes les tâches effectuées par le cerveau. Cependant, comme je l’ai souligné plus tôt, tout n’est pas fondamentalement faux dans les neuromythes.

Il faut remonter au XIXe siècle pour comprendre d’où vient cette théorie. Jusqu’alors, on considérait que le cerveau était un organe symétrique, un tout se répétant de gauche à droite (hippocampe, hypothalamus, striatum…). Cependant, en 1861, les travaux de Paul Broca ont mis en évidence pour la première fois la latéralisation à gauche d’une fonction majeure : la production du langage. Rapidement, d’autres travaux suivent : ceux de John Hughlings Jackson (1872) démontrant la latéralisation à droite de l’attention visuo-spatiale, ceux de Wernicke (1876) définissant la compréhension du langage comme étant latéralisée dans le lobe temporal gauche.

L’asymétrie du cerveau est donc prouvée, aussi l’inégale implication des deux hémisphères dans différentes fonctions. C’est le point de départ du mythe opposant un “cerveau gauche” intellectuel, maîtrisant le langage et les conventions sociales, et un “cerveau droit” instinctif, qui permet de retrouver le chemin de la maison et de reconnaître les siens.

Le thème sera aussi popularisé par l’écrivain Robert Louis Stevenson (1886) dans L’étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde. Le héros du roman possède deux personnalités :

- Dr Jekyll, logique, moral et maître de lui-même, représente le cerveau gauche ;

- M. Hyde, primitif et bestial, représente le cerveau droit.

Couverture de l'édition originale de Strange case of Dr Jekyll and Mr Hyde

Cette théorie sera reprise de nombreuse fois par d’autres scientifiques et ce même au cours du XXe siècle. Depuis, la science a considérablement progressé et des techniques comme l’IRM permettent aujourd’hui d’identifier précisément les régions impliquées dans une fonction.

Une étude de 2013 a tenté de déterminer la réalité ou non d’une dominance hémisphérique. Plus de 1 000 sujets ont été soumis à une IRM fonctionnelle, analysant l’activité des neurones de chaque côté du cerveau. Le résultat est sans appel : aucun des deux hémisphères ne présente globalement une activité plus importante que l’autre. L’activité propre d’une région cérébrale semble être essentiellement liée à la tâche effectuée et non à une préférence hémisphérique de l’individu.

Finalement, les cerveaux droit et gauche sont les composants d’un système cognitif plus vaste. Le cerveau est bien asymétrique dans la réalisation de certaines fonctions, mais il n’est pas pour autant latéralisé !

Les intelligences multiples

Le mythe : il existerait huit intelligences différentes, indépendantes et inégalement distribuées chez chaque individu, expliquant que certains soient doués pour la musique, d’autres pour les mathématiques. Ces types d’intelligence serviraient de base pour améliorer les pratiques pédagogiques.

C’est en 1983 que le psychologue américain Howard Gardner publie son ouvrage Frames of mind: The theory of multiple intelligences dans lequel il définit ces intelligences (d’abord 7, puis 10) : linguistique, spatiale, logico-mathématique, interpersonnelle, intrapersonnelle, kinesthésique et musicale, naturaliste, existentielle et spirituelle.

Couverture du livre Frames of mind: The theory of multiple intelligences

Pour Gardner, il s’agit bien d’intelligences indépendantes les unes des autres et inégalement distribuées selon les individus. Dès sa sortie, la théorie a rencontré à la fois un fort succès, notamment auprès de nombreux pédagogues qui s’en sont emparée pour adapter leur enseignement, mais aussi de vives critiques de la communauté scientifique, notamment sur le flou entourant les critères de définition de ces intelligences.

Notons qu’en 2012, les deux tiers des enseignants au Royaume-Uni et aux Pays-Bas considéraient que la théorie de Gardner était fondée.

Une fois encore, les avancées liées à l’imagerie cérébrale, couplées à l’affinement des tests psychométriques, ont permis de revenir sur ce concept. Des études basées sur des IRM (Colom R, Jung RE, Haier RJ. Distributed brain sites for the g-factor of intelligence. Neuroimage. 2006.) ont démontré qu’il n’y avait aucun réseau spécifique à un type d’habileté. Le consensus est revenu au concept d’une intelligence générale. La notion d’intelligence multiple est confondue avec celle de talent, et les compétences liées à ces différentes « intelligences » ne sont pas indépendantes les unes par rapport aux autres comme le prétend la théorie des intelligences multiples.

La théorie de Gardner n’a certes pas fait ses preuves mais elle aura stimulé la réflexion dans le domaine de l’éducation sur la valorisation d’une plus grande variété d’aptitudes chez les élèves.